Second cancers après cellules CAR T - Dr Rémy Duléry : "Le risque est très faible"

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Médecin du service d’hématologie clinique et de thérapie cellulaire à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, le Dr Rémy Duléry a analysé les données du registre DESCART qui recense tous les patients traités par cellules CAR T en France. Menée grâce à la collaboration de plusieurs sociétés savantes et groupes coopérateurs* , son étude visait à déterminer le nombre d’hémopathies à cellules T survenues secondairement chez ces patients, à la suite de l’annonce de 22 cas observés aux États-Unis. Les résultats sont rassurants : un seul cas sur plus de 3 000 patients traités a été constaté.

Pourquoi avoir mené cette étude ?

En décembre 2022, l’agence états-unienne du médicament, la Food and Drug Administration (FDA), a émis une alerte après avoir recensé 22 cas d’hémopathies à cellules T chez des patients ayant reçu un traitement par cellules CAR T. Nous avons la chance en France d’avoir le registre DESCAR-T qui collige les données de l’ensemble des patients traités par cellules CAR T, avec un suivi dans le temps. Ce registre est unique au monde, car il est le seul à être exhaustif. Nous avions donc la possibilité d’évaluer l’incidence réelle des hémopathies à cellules T secondaires aux CAR T, avec une grande fiabilité.

Quel est le résultat de votre étude ?

Nous avons réalisé l’étude sur les 3 066 patients inclus dans le registre DESCAR-T au 1er avril 2024, dont 2536 étaient atteints d’un lymphome. Ces derniers ont été suivis pendant un peu plus d’un an en médiane, le recul allant jusqu’à six ans pour certains patients. Après avoir analysé les données et envoyé un questionnaire à chacun des centres habilités à administrer les cellules CAR T, un seul cas d’hémopathie T secondaire a été répertorié.

Quelle est la situation du patient concerné ?

Il s’agit en l’occurrence d’une patiente qui a reçu des cellules CAR T pour traiter un lymphome diffus à grandes cellules B. Le traitement a été très efficace puisqu’elle est en rémission complète prolongée de son lymphome. Elle a toutefois développé un lymphome T cutané pour lequel elle est actuellement en traitement. Son lymphome secondaire est survenu environ trois ans après l’injection des cellules CAR T.

Un seul cas d’hémopathie secondaire, est-ce rassurant ?

Par rapport à l’ensemble de la population des patients inscrits dans le registre DESCAR-T, l’incidence des hémopathies T secondaires aux cellules CAR T est de 0,03 %. Cette incidence est similaire à celle observée aux États-Unis et dans des études de plus petite taille menées localement par quelques centres. On peut donc considérer que le risque de survenue d’une hémopathie T secondaire est très faible. Par ailleurs, il existe de nombreux types différents d’hémopathies T malignes et certaines sont de bon pronostic. Enfin, il convient de prendre en considération le risque global de cancer secondaire chez les patients traités : ce risque est a priori plus faible avec les cellules CAR T qu’avec d’autres types de traitement.

C’est-à-dire ?

La question des cancers secondaires après traitement d’un lymphome est connue depuis longtemps. On sait que les chimiothérapies peuvent induire des cancers à plus ou moins long terme chez environ 5 % à 10 % des patients traités. Dans le cas des traitements intensifs avec autogreffe ou allogreffe de cellules souches, le risque est plus élevé encore. Avec les cellules CAR T, dans l’état actuel des connaissances, nous sommes à un niveau de risque très nettement inférieur. Dans tous les cas, le rapport bénéfice/risque des cellules CAR T n’est absolument pas remis en question. Ce type de traitement est très efficace et les patients ne doivent pas craindre de les recevoir. Ils s’exposeraient à de bien plus grands risques en ne traitant pas leur lymphome !

Est-ce que le lien de causalité entre les hémopathies secondaires et les cellules CAR T est établi ?

Il n’est pas du tout certain que les cellules CAR T soient directement responsables de toutes les hémopathies T secondaires observées jusqu’à présent. Il est même probable que, chez un certain nombre de patients, les cellules cancéreuses à l’origine de ces hémopathies étaient préexistantes avant l’injection des cellules CAR T. Leur expansion pourrait avoir été simplement favorisée par le déficit immunitaire créé par la chimiothérapie administrée quelques jours avant l’injection des cellules CAR T. Il n’est toutefois pas impossible que dans certains cas, les CAR T aient une responsabilité directe, selon des mécanismes qui restent à préciser.

Les résultats de votre étude conduisent-ils à devoir instaurer une surveillance accrue des patients traités par cellules CAR T ?

Ces patients font déjà l’objet d’une surveillance régulière à long terme qui inclut déjà la détection d’une éventuelle hémopathie T secondaire. Dans la mesure où l’étude montre que le risque reste très faible, il n’y a pas de mesures supplémentaires à prévoir au cours de ce suivi.

* LYSA (Lymphoma Study Association), IFM (Intergroupe Francophone du Myélome), GRAALL (Group for Research in Adult Acute Lymphoblastic Leukemia), SFCE (Société Française de lutte contre les Cancers et les leucémies de l’Enfant et de l’adolescent) et la SFGM-TC (Société Francophone de Greffe de Moelle et de Thérapie Cellulaire).

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