Accès aux médicaments innovants : ELLyE auditionné par la mission interministérielle sur la régulation et le financement des produits de santé

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Accès aux médicaments innovants : ELLyE auditionné par la mission interministérielle sur la régulation et le financement des produits de santé
L’hématologie, et le traitement des lymphomes en particulier, est un secteur d’intense innovation thérapeutique. Or, si la France est traditionnellement l’un des pays dans lesquels l’accès aux nouveaux traitements est le plus large et le plus rapide, grâce notamment au système de l’accès précoce (ex-ATU), il y a aujourd’hui plusieurs ombres au tableau. ELLyE a illustré cette situation et ses conséquences du point de vue des patients lors de son audition par les membres de la mission interministérielle sur la régulation et le financement des produits de santé, le 9 mai dernier, tout en proposant plusieurs pistes de réflexion.
La nécessaire réforme des critères d’inscription sur la liste en sus
La plupart des nouveaux traitements des lymphomes sont des produits très onéreux, à usage hospitalier. Ils ne peuvent donc être achetés par les hôpitaux que s’ils leur sont remboursés à 100 % par l’assurance maladie via l’inscription sur une liste dite « en sus », qui permet une prise en charge financière, en supplément des tarifs d'hospitalisation, de spécialités pharmaceutiques présentant un caractère innovant (pour le/les indications concernées). Or les critères d’inscription sur cette liste sont aujourd’hui inadaptés à l’arrivée rapide sur le marché de produits pharmaceutiques prometteurs mais dont la valeur-ajoutée est considérée « incertaine » par la Haute Autorité de Santé (HAS), en raison du caractère précoce des données cliniques sur lesquelles reposent les demandes de prise en charge par l’assurance maladie. Cela est susceptible d’empêcher tout accès effectif à des produits dont le service médical rendu est pourtant considéré important par la même HAS, alors que les patients ne bénéficient d’aucune alternative thérapeutique satisfaisante (besoin médical non couvert).
Il est donc urgent de réviser les critères d’inscription sur la liste en sus, en prévoyant par exemple une « inscription conditionnelle temporaire » pour les traitements dont la valeur-ajoutée est encore incertaine au moment de la première évaluation et doit être confirmée par des données additionnelles. Favoriser le développement et l’utilisation de registres sur le modèle de DESCAR-T, le dispositif d’enregistrement et de suivi des patients traités par cellules CAR-T sur le territoire français, permettrait également de générer des données de vie réelle solides, susceptibles de confirmer ou d’infirmer les résultats des essais cliniques.
Favoriser la convergence entre les exigences l’EMA et de la HAS
Pour pouvoir être distribués au sein de l’Union européenne, les nouveaux médicaments doivent recevoir une autorisation de mise sur le marché, décernée par la commission européenne après une évaluation de leur balance bénéfices / risques par l’Agence européenne du médicament (EMA). L’avis de la HAS, qui intervient dans un deuxième temps, porte quant à lui sur la prise en charge du médicament par l’assurance maladie en France.
Si les évaluations de l’EMA et de la HAS ont donc des objectifs différents, il existe des superpositions entre les deux. Patients et médecins peinent par conséquent à comprendre pourquoi le service médical rendu d’un médicament peut être considéré comme insuffisant par la HAS, ce qui exclut toute prise en charge en France, alors que sa balance bénéfices / risques a été jugée positive par l’EMA et qu’il est autorisé au niveau européen .
Une plus grande convergence des exigences et pratiques de l’EMA et des agences nationales d’évaluation comme la HAS est indispensable pour mettre fin à ces incohérences. La mise en œuvre du règlement européen du 15 décembre 2021 concernant l’évaluation commune des technologies de santé devrait contribuer à une telle harmonisation, mais cela risque d’être un processus long alors qu’il y a urgence à renforcer échanges et collaborations.
L’insupportable « chantage » prix / accès de certains laboratoires
ELLyE est pleinement consciente que l’accès de tous les patients aux traitements dont ils ont besoin est conditionné au caractère soutenable des dépenses de santé à l’échelle nationale, sachant que les prix des nouveaux médicaments en hématologie atteignent des niveaux toujours plus élevés .
Dans ce contexte, certains laboratoires n’hésitent pas à prendre en otage les patients lorsqu’ils s’engagent dans un bras de fer avec les autorités de santé concernant la négociation du prix, certains allant jusqu’à retirer leur produit du marché français lorsque les perspectives financières ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Ainsi, un laboratoire produisant un traitement par cellules CAR-T indiqué dans la prise en charge des myélomes multiples a mis fin au programme d’accès précoce en France après la publication d’un avis de la HAS jugé trop négatif, avant de retirer sa demande de remboursement.
Financer un accès plus équitable aux traitements innovants : pistes de réflexions
Il n’y a pas de solution miracle pour lutter contre la hausse exponentielle du prix des traitements innovants en hématologie. Plusieurs pistes de réflexion nous paraissent néanmoins intéressantes dans l’objectif de financer un accès plus équitable aux nouvelles thérapies :
• Imposer une plus grande transparence des coûts de recherche et développement (y compris les financements publics directs et indirects) et de production, afin que ces éléments puissent être pris en compte dans la fixation du prix des médicaments.
• Soutenir le développement de thérapies géniques par des hôpitaux publics, dont les coûts sont beaucoup moins élevés .
• Mettre en place un paiement à la performance pour les traitements à administration unique, comme les traitements par cellules CAR-T par exemple.
• Favoriser le développement de traitements à durée fixe, dont l’impact sur la qualité de vie des malades et le coût pour la collectivité sont moindres.
Garantir la disponibilité des médicaments anciens et lutter contre les pénuries
L’accès aux traitements innovants ne constitue pas l’unique problème d’accès en hématologie, loin s’en faut. La plupart des lymphomes sont aujourd’hui encore traités, en première intention, avec des (immuno)chimiothérapies utilisant, pour la plupart, des molécules anciennes et peu coûteuses. Or ces médicaments ne sont pas épargnés par les pénuries, dont le nombre a explosé ces dernières années, même si les patients en sont rarement informés dans le cadre hospitalier. Leur impact peut néanmoins se révéler dévastateur :
• Trois patients sont décédés en 2016, alors qu’ils avaient été traités avec une alternative thérapeutique au melphalan, alors en rupture d’approvisionnement.
• Il existe aujourd’hui une importante pénurie de méthotréxate, médicament sans alternative thérapeutique utilisé dans le traitement des lymphomes cérébraux et d’autres cancers tout aussi agressifs. La date de retour à la normale est pour l’instant inconnue.
• Rappelons également la pénurie désormais chronique d’immunoglobulines humaines, qui a pour conséquence d’importantes restrictions de prescription chez les patients immunodéprimés suite au traitement de leur lymphome.
Ces réflexions et suggestions ont été exposées aux membres de la mission interministérielle sur les produits de santé, le 9 mai, à l’occasion de l’audition d’ELLyE. Nous espérons qu’elles alimenteront utilement les travaux de la mission, dont les associations de patients attendent des propositions innovantes pour résoudre les difficultés actuelles d’accès et de disponibilité des médicaments, tout en garantissant la soutenabilité des dépenses de santé sur le long terme.
1. Exemple récent du Polivy dans le lymphome diffus à grandes cellules B.
2. Par exemple, le prix revendiqué par laboratoire produisant le traitement par cellules CAR-T Carvykti®, utilisé dans la prise en charge des myélomes multiples, est de 420 000 euros l’injection.
3. Le coût de prise en charge de Creatio, le CAR-T développé par le centre de production de thérapies innovantes de l'université de Barcelone, s'est par exemple établi à 89 270 euros contre plus de 300 000 euros pour des thérapies équivalentes produites par l’industrie pharmaceutique.
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